1. L’auteur
Maupassant
  • Guy de Maupassant (1850-1893). Conteur réaliste, il peint la société de son temps d’une façon cruelle et colorée. Ecrivain pessimiste, il sait très bien rendre les hantises et les cauchemars de la vie intérieure. 
  • Maupassant fit des croisières en Méditerranée et rapporta ses impressions de voyage dans : Au soleil (1884) ;         Sur l’ eau (1888) et La vie errante (1890).
  • Maupassant prévient  « Ce journal ne contient aucune histoire et aucune aventure intéressante. Ayant fait, au printemps dernier, une petite croisière sur les côtes de la Méditerranée, je me suis amusé à écrire chaque jour ce que j’ai vu et ce que j’ai pensé. En somme, j’ai vu de l’eau, du soleil, des nuages et des roches – je ne puis raconter autre chose – et j’ai pensé simplement, comme on pense quand le flot vous berce, vous engourdit et vous promène. »
  1. Cannes, sa croisette et les îles de Lérins

L’arrivée par la mer

« Une demi-heure plus tard, je descendais la côte à grands pas. L’horizon commençait à pâlir et je regardais au loin, derrière la baie des Anges, les lumières de Nice, puis plus loin encore, le phare tournant de Villefranche. Devant moi Antibes apparaissait vaguement dans l’ombre éclaircie, avec ses deux tours debout sur la ville bâtie en cône et qu’enferment encore les vieux murs de Vauban. (…)

Maintenant, toute la chaîne des Alpes apparaît, vague monstrueuse qui menace la mer, vague de granit couronnée de neige dont tous les sommets pointus semblent des jaillissements d’écume immobile et figée. Et le soleil se lève derrière ces glaces, sur qui sa lumière tombe en coulée d’argent.
Mais voilà que, doublant le cap d’Antibes, nous découvrons les îles de Lérins, et loin par derrière, la chaîne tourmentée de l’Esterel. L’Esterel est le décor de Cannes, charmante montagne de keepsake, bleuâtre et découpée élégamment, avec une fantaisie coquette et pourtant artiste, peinte à l’aquarelle sur un ciel théâtral par un créateur complaisant pour servir de modèle aux Anglaises paysagistes et de sujet d’admiration aux altesses phtisiques ou désoeuvrées. A chaque heure du jour, l’Esterel change d’effet et charme les yeux du high life. (…)

Les îles de Lérins, qui ferment à l’est le golfe de Cannes et le séparent du golfe Juan, semblent elles-mêmes deux îles d’opérette placées là pour le plus grand plaisir des hivernants et des malades. De la pleine mer, où nous sommes à présent, elles ressemblent à deux jardins d’un vert sombre poussés dans l’eau. Au large à l’extrémité de Saint-Honorat, s’élève, le pied dans les flots, une ruine toute romantique, vrai château de Walter Scott, toujours battue par les vagues, et où les moines autrefois se défendirent contre les Sarrasins, car Saint-Honorat appartint toujours à des moines, sauf pendant la Révolution. L’île fut achetée par une actrice des Français. (…)

J’aperçois maintenant les trois golfes. Devant moi, au-delà des îles, celui de Cannes, plus près, le golfe Juan, et derrière moi la baie des Anges, dominée par les Alpes et les sommets neigeux. Plus loin les côtes se déroulent bien au-delà de la frontière italienne, et je découvre avec ma lunette, la blanche Bordighera au bout d’un cap.

Cannes
Photo by Hermann on Pixabay

Cannes, sa croisette et ses îles de Lérins

La Croisette est une longue promenade en demi-cercle qui suit la mer depuis la pointe, en face Sainte-Marguerite, jusqu’au port que domine la vieille ville.(…)

Autour de moi, Cannes étendait ses lumières. Rien de plus joli qu’une ville éclairée, vue de la mer. A gauche, le vieux quartier dont les maisons semblent grimper les unes sur les autres, allait mêler ses feux aux étoiles ; à droite, les becs de gaz de la Croisette se déroulaient comme un immense serpent sur deux kilomètres d’étendue. (…)

Bientôt je gagnai l’abri des îles et je m’engageai dans le passage sous le château fort de Sainte-Marguerite. Sa muraille droite tombe sous les rocs battus du flot, et son sommet ne dépasse guère la côte peu élevée de l’île. On dirait une tête enfoncée entre deux grosses épaules. (…)

On passa d’abord dans ces chemins ombreux qui vont toujours entre deux jardins et qui font de Cannes une sorte de parc anglais, puis on gagna la route d’Antibes, le long de la mer.

Forestier expliquait le pays. – Tiens, voici l’île Sainte-Marguerite et le château dont Bazaine s’est évadé. Nous en a-t-on donné à garder avec cette affaire-là! (…)

La côte semée de villas descendait jusqu’à la ville qui était couchée le long du rivage en demi-cercle, avec sa tête à droite vers la jetée que dominait la vieille cité surmontée d’un vieux beffroi, et ses pieds à gauche à la pointe de la Croisette, en face des les de Lérins. Elles avaient l’air, ces îles, de deux taches vertes, dans l’eau toute bleue. On eût dit qu’elles flottaient comme deux feuilles immenses, tant elles semblaient plates de là-haut. (…)

Et tout au loin, fermant l’horizon de l’autre côté du golfe, au-dessus de la jetée et du beffroi, une longue suite de montagnes bleuâtres dessinait sur un ciel éclatant une ligne bizarre et charmante de sommets tantôt arrondis, tantôt crochus, tantôt pointus, et qui finissait par un grand mont en pyramide plongeant son pied dans la pleine mer. Mme Forestier l’indiqua: – C’est l’Esterel. »

Sur l’eau.

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